mercredi 31 juillet 2019

L'OPIUM ET LE BÂTON (1965) - Mouloud MAMMERI - Algérie - La Découverte / Points n° 2782


Paru trois ans après l'indépendance "L'opium et le bâton" raconte la guerre d'Algérie à travers la vie quotidienne d'un village kabyle...
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Présentation par l'éditeur :


"Les ans et les générations, les soleils et les pluies, les guerres et la paix ont modelé ce village qui ne ressemble à nul autre. Ce que des siècles ont fait il suffit ? fffffff (il souffla sur ses doigts) ? du vent d’une nuit pour le détruire, que ce soit la nuit du soleil ou celle de vos esprits. » Tala, niché dans les montagnes, est le village de Bachir et de sa famille. Piégés, déchirés entre le FLN et l’armée française, ses habitants s’interrogent : et si Tala n’était qu’une étoile morte ? Certains comme Tayeb ont vendu leur âme, d’autres comme Bachir et son frère Ali sont partis aider les frères. Entre ces deux extrêmes, une majorité de pleutres, passifs et apeurés… Qui sait si Tala survivra à la nuit des esprits ?"
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Bachir, jeune médecin installé à Alger, décide de tout quitter, pour participer à la guerre de libération de son pays...
Ainsi il va retrouver ses proches à Thala, son petit village natal niché au flanc de montagne du Djurdjura...
Ce village berbère est occupé par l'armée française...
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Ce livre absolument passionnant est de plus écrit dans une langue tout à fait remarquable où affleure la poésie.
S'ajoute pour moi une raison toute personnelle d'être bouleversé par sa lecture : il me replonge dans un épisode douloureux de mon existence, précisément vécu dans cette magnifique région de Grande Kabylie.
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Extraits :
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"Aux maisons d'Alger,en quelque point que l'on se trouve,sont imparties des portions mesurées du ciel. Dans la beauté rigoureuse d'une baie ouverte sur la monotonie bleue d'une mer que nul accident n'humanise, l'esprit se sent sollicité et comme voué aux tensions extrêmes.

Ce ciel dont un cercle précis de montagnes ou la mer tracent de partout les limites, mais qui s'étale au- dessus de lui comme une tentation toujours proposée , toujours imposée, Alger sait qu'il ne peut y parvenir qu'à force d'exaltation .......

A Alger, pour aller à l'air libre, il faut toujours monter ........"
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"Pourtant ce qui se passe dans ce pays depuis trois ans aurait dû te guérir de la comédie. Il y a tant de sang, tant de souffrance, tant de morts. Mais non. Le sang tu crois que c’est de la teinture ; les morts étalés par dizaines dans ton journal chaque matin tu attends qu’ils se lèvent après la représentation, et pour un peu tu irais les féliciter après la pièce dans les coulisses…"
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"Le soleil n'envoyait plus de derrière la montagne où il s'était enfoncé dans des nappes de sang qu'une vague lueur violette sur le fond d'un ciel pâle .. Bientôt de toutes petites flammes éparses piquèrent le plateau.. Au loin par intervalles des chiens aboyaient .La lune se leva, gros morceau de fer rouillé ballant dans l'étang bleu ."
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"Ceux d'en face n'ont jamais été à l'école, ni la vraie ni même les autres, où ils auraient au moins appris à marcher au pas.Ce sont des gardiens de chèvres à qui on a mis un fusil de chasse entre les mains et qui s'en servent comme ils faisaient de la charrue ou de la faucille: avec la même application sérieuse, le même désir que ça réussisse.La guerre pour eux n'est pas un jeu grisant plein de panache."
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"Ils attendent la moisson, les bouseux, comme si la guerre ne se suffisait pas à elle même, comme si à la guerre on moissonnait autre chose que des coups, des morts, des galons, des décorations...Ils la font plus par nécessité que par vocation. C'est à vous dégoûter de porter l'uniforme."

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"Ramdane dit que la vieillesse c'est quand votre passé, même nul, pèse tant sur votre présent qu'il vous étouffe, vous ligote... et aussi des rides aux coins des yeux."




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Adaptation cinématographique en 1969 (non vue)
par
Ahmed Rachidi
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Mouloud Mammeri
(1917-1989)
Ecrivain, Linguiste, Anthropologue
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Voir Wikipédia ----) ICI

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lundi 22 juillet 2019

MANIERE DE VOIR N° 166 - AUX ARMES, HISTORIENS - Monde Diplomatique


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Un numéro absolument passionnant que j'ai lu d'une seule traite (enfin presque...)...
Coordonné par Benoit Bréville et Evelyne Pieiller.
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Présentation :
""Aux armes, historiens. Le roman national en débat.
Y a-t-il une histoire de droite et une histoire de gauche ? Un « roman national » différent selon chaque bord ? Comment s’y repérer ? Pour répondre à ces questions, la dernière livraison de Manière de voir explore les grands événements, les batailles idéologiques, les conquêtes sociales qui ont secoué la France depuis 1789.""


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Editorial "L'illusion de la Neutralité" (extrait) :
'"Un étudiant en histoire entend bien des conseils : bannir la formule "de tout temps", éviter les jugements de valeur, ne pas confondre commentaire et paraphrase. Mais s'il est une chose qu'on lui enjoint de proscrire c'est l'anachronisme......L'historien doit donc se garder d'envisager le passé avec l'oeil du présent, et de blâmer Platon parce qu'il possédait des esclaves.
Bon nombre de dirigeants politiques seraient avisés de suivre cette prescription pou se prémunir d'une autre forme d'anachronisme : envisager le présent avec l'oeil du passé..........."'
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Nombreux articles, Plusieurs sections...

1 - Un début de joie, la fraternité :
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"Des trois notions qui composent la devise de la République, c’est sans doute la fraternité qui est à la fois la plus évocatrice et la plus mystérieuse. Indissociable de l’égalité et de la liberté, elle est ce qui donne son sens aux luttes pour un bonheur commun. Mais, de la Révolution à Mai 68 en passant par la Commune, les soulèvements contre l’ordre établi ne débouchent pas toujours sur les changements espérés…"

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2 - L'égalité, un mensonge de la République ? 
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"Il est connu que, si tous les hommes naissent égaux, certains le sont plus que d’autres… Quand la Révolution affirme l’égalité des droits, c’est un bouleversement, qui signe la fin de l’Ancien Régime en abolissant notamment les privilèges de la noblesse. Au fil des changements politiques, le principe sera souvent bafoué. Pourtant, c’est parce qu’il existe que continue à s’élever l’exigence de justice."




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3 - Liberté, combats avec tes défenseurs !
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"C’est la philosophie des Lumières qui a mis l’accent sur la valeur prééminente de la liberté, c’est-à-dire la capacité de déterminer sa vie en toute autonomie, grâce à l’exercice de la raison délivrée des préjugés. L’aspiration à cette liberté-là animera de nombreux combats. Mais sa réalisation se heurte à la puissance des intérêts politiques et économiques, masqués en protecteurs de la société."


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Voix de faits :
Faits, Chiffres, Citations et petites histoires...
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Iconographie :

Les images qui accompagnent le numéro sont l'oeuvre de Yinka Shonibare Rahman et de Pep Carrio.
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lundi 8 juillet 2019

MARINA BELLEZZA (2013) - Silvia AVALLONE - Italie - J'ai lu n°11630

Une fois de plus, après "D'acier", la jeune écrivaine italienne frappe fort avec "Marina Bellezza"
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Présentation par l'éditeur :


"Il rêve de tout plaquer - famille et études - pour élever des vaches dans la ferme d'alpage de son grand-père. Elle court les télé-crochets dans l'espoir de devenir une star de la chanson. Andrea et Marina s'engagent dans des voies contraires... sans issues? Au cœur d'un no man's land aux confins de l'Italie, ils s'aiment depuis l'adolescence avec une fièvre qu'ils se promettent à chaque fois d'éteindre."

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Un portrait au scalpel de deux jeunes totalement désemparés mais qui tentent néanmoins de tracer leur chemin dans une société italienne en pleine crise...
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Un style fort, inventif, que l'on apprécie tout au long des 600 pages de ce remarquable roman "engagé et enragé".
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EXTRAITS :


"Pour Andréa Caucino, le secret, le caché, le non-dévoilé était le fondement naturel de la beauté, et le silence, la solitude en faisaient partie. Les animaux sauvages étaient beaux, beaux aussi les yeux ronds et brillants des vaches au museau levé qui vous regardent avec un étonnement muet; beau cet endroit inconnu de tous sinon des enfants qui viennent au printemps et surtout en mai, quand fleurissent les rhododendrons ; et belle Marina, avec son bas filé et sa robe de travers, son maquillage à moitié effacé et son sourire clair comme la première neige dans les creux du Mucrone."
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"Maintenant elle les voyait elle aussi, les entrepôts abandonnés, les filatures démembrées et les chantiers fermés depuis des années. Elle s'apercevait enfin que tout était mort, éteint, rouillé, pas comme dans ses souvenirs...Pourtant, cette terre là n'était pas un no man's land : c'était la sienne. Le seul lieu au monde où elle puisse toujours revenir."
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"Les femmes ne bougeaient pas, elles étaient comme les racines enterrées des châtaigniers, comme les tubercules et les rochers. Elles attendaient. Que les maris reviennent les mettre enceintes, que les enfants grandissent, que les maris rentrent pour mourir."
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"Le désir fait partie de la vie, au même titre que la violence. Devenir adulte, c'est gérer le désir et la violence "
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"Qu'importe si la beauté est éphémère et de courte durée, douteuse et injuste. C'est même pour cette raison-là - parce qu'elle appartient à la nature, à un état primitif du pouvoir et des sens - qu'elle attire plus que la pensée et les mots."

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"Souvent la douleur ne se fait pas sentir sur le moment, et ne se manifeste que plusieurs jours après. Notre corps peut même la transformer au contraire en insouciance, en euphorie."


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"La solitude, ça vous bousille, ça vous abrutit."

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Silvia Avallone
née en 1984
romancière et poétesse
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auteure également de 
"D'acier" (2010) voir ICI  sur ce blog
"Le Lynx"(2011)
"La vie parfaite" (2018) publié récemment en France...



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