mardi 11 décembre 2018

MEMOIRES D'HADRIEN (1951) - Marguerite YOURCENAR (1903-1987) - France - Folio n°921

A l'approche de sa mort, Hadrien, le grand empereur romain, médite longuement...
Sur la Vie, le Pouvoir...
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Seconde lecture du fascinant chef-d'oeuvre dMarguerite Yourcenar :
Une véritable et éblouissante "redécouverte" de ce monument de la littérature !
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Présentation de l'éditeur :


"Cette œuvre, qui est à la fois roman, histoire, poésie, a été saluée par la critique française et mondiale comme un événement littéraire. En imaginant les Mémoires d'un grand empereur romain, l'auteure a voulu  ""refaire du dedans ce que les archéologues du XIXème  ont fait du dehors». Jugeant sans complaisance sa vie d'homme et son œuvre politique, Hadrien n'ignore pas que Rome, malgré sa grandeur, finira un jour par périr, mais son réalisme romain et son humanisme hérité des Grecs lui font sentir l'importance de penser et de servir jusqu'au bout.
«... Je me sentais responsable de la beauté du monde», dit ce héros dont les problèmes sont ceux de l'homme de tous les temps : les dangers mortels qui du dedans et du dehors confrontent les civilisations, la quête d'un accord harmonieux entre le bonheur et la «discipline auguste», entre l'intelligence et la volonté. "
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Cette édition comporte également les Carnets de notes de "Mémoires d'Hadrien "
 extrait :
Retrouvé dans un volume de la correspondance de Flaubert, fort lu et fort souligné par moi vers 1927,
la phrase inoubliable :
 - Les dieux n'étant plus, et le christ n'étant pas encore, il y a eu, de Cicéron à Marc Aurèle, un moment unique où l'homme seul a été. -
Une grande partie de ma vie allait se passer à essayer de définir, puis à peindre, cet homme seul et d'ailleurs relié à tout. "
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Un oeuvre très forte que l'on ne peut survoler hâtivement...
Une lecture pas toujours facile mais qui nous investit et subjugue complètement...
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Le livre se présente sous la forme d'une lettre adressée par Hadrien, se sachant condamné par la maladie, à son petit-fils adoptif agé de 17 ans, le futur empereur Marc Aurèle :

" Mon cher Marc,
...............................................................
J'ai formé le projet de te raconter ma vie. "
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"... Si j'ai choisi d'écrire ces Mémoires d'Hadrien à la première personne, c'est pour me passer le plus possible de tout intermédiaire, fût-ce de moi même. Hadrien pouvait parler de sa vie plus fermement et plus subtilement que moi."
(Marguerite Yourcenar - Carnet de notes)

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Un véritable chef-d'oeuvre...
Un génial tour de force : Marguerite Youcenar a parfaitement réussi à rendre à la fois vivant et très proche de nous un homme qui a vécu au deuxième siècle.
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Citations :
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"Je doute que toute la philosophie du monde parvienne à supprimer l'esclavage: on en changera tout au plus le nom. Je suis capable d'imaginer des formes de servitude pires que les nôtres, parce que plus insidieuses: soit qu'on réussisse à transformer les hommes en machines stupides et satisfaites, qui se croient libres alors qu'elles sont asservies, soit qu'on développe chez eux, à l'exclusion des loisirs et des plaisirs humains, un goût du travail aussi forcené que la passion de la guerre chez les races barbares."
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"Je ne méprise pas les hommes. Si je le faisais, je n'aurais aucun droit, ni aucune raison, d'essayer de les gouverner. Je les sais vains, ignorants, avides, inquiets, capables de presque tout pour réussir, pour se faire valoir, même à leurs propres yeux, ou tout simplement pour éviter de souffrir. Je le sais : je suis comme eux, du moins par moment, ou j'aurais pu l'être.........Notre grande erreur est d'essayer d'obtenir de chacun en particulier les vertus qu'il n'a pas, et de négliger de cultiver celles qu'il possède."
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"Fonder des bibliothèques, c'était encore construire des greniers publics, amasser des réserves contre un hiver de l'esprit qu'à certains signes, malgré moi, je vois venir."
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"Je pense souvent à la belle inscription que Plotine avait fait placer sur le seuil de la bibliothèque établie par ses soins en plein Forum de Trajan : Hôpital de l'âme."
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"Je me sentais responsable de la beauté du monde. Je voulais que les villes fussent splendides, aérées, arrosées d’eaux claires, peuplées d’êtres humains dont le corps ne fût détérioré ni par les marques de la misère ou de la servitude, ni par l’enflure d’une richesse grossière"
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"Je n’en tenais que davantage à faire de Jérusalem une ville comme les autres, où plusieurs races et plusieurs cultes pourraient exister en paix ; j’oubliais trop que dans tout combat entre le fanatisme et le sens commun, ce dernier a rarement le dessus." 
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"J'ai utilisé de mon mieux mes vertus, j'ai tiré parti de mes vices"
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"Il est difficile de rester empereur en présence d'un médecin, et difficile aussi de garder sa qualité d'homme. L’œil du praticien ne voyait en moi qu'un morceau d'humeurs, triste amalgame de lymphe et de sang. Ce matin, l'idée m'est venue pour la première fois que mon corps, ce fidèle compagnon, cet ami plus sûr, mieux connu de moi que mon âme, n'est qu'un monstre sournois qui finira par dévorer son maître."

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"Qu'est la volupté elle-même, sinon un moment d'attention passionnée du corps ?
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« C'est avoir tort que d'avoir raison trop tôt. »
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Rien n'est plus lent que la véritable naissance d'un homme.
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Tout bonheur est un chef-d'oeuvre : la moindre erreur le fausse, la moindre hésitation l'altère, la moindre lourdeur le dépare, la moindre sottise l'abêtit."

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Sur Antinoüs :
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« Je retrouve une tête inclinée sous une chevelure nocturne, des yeux que l’allongement des paupières faisait paraître obliques, un jeune visage large et comme couché...
....Il était peu lettré, ignorant de presque tout, réfléchi, crédule...
...Ce beau lévrier avide de caresses et d’ordres se coucha sur ma vie...
... Je réduis cette jeune figure aux proportions d’une statuette de cire que j’aurais pétrie, puis écrasée entre mes mains ».


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"...Le culte d’Antinoüs semblait la plus folle de mes entreprises, le débordement d’une douleur qui ne concernait que moi seul. Mais notre époque est avide de dieux ; elle préfère les plus ardents, les plus tristes, ceux qui mêlent au vin de la vie un miel amer d’outre-tombe..."
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Les toutes dernières lignes du livre :
"Petite âme, âme tendre et flottante, compagne de mon corps, qui fut ton hôte, tu vas descendre dans ces lieux pâles, durs et nus, où tu devras renoncer aux jeux d'autrefois. Un instant encore, regardons ensemble les rives familières, les objets que sans doute nous ne reverrons plus ... Tâchons d'entrer dans la mort les yeux ouverts ..."
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Marguerite Yourcenar
(1903-1987)
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voir wikipedia

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A lire également :
"Henriette Levillain
commente
Mémoires d'Hadrien"
(Foliothèque n°17 - janvier1992)
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Passionnante étude approfondie du livre de Yourcenar...

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A visiter la superbe Villa d'Hadrien, à une trentaine de kilomètres de Rome tout près de Tivoli...
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"Pour moi c'est la Villa Adriana qui a été le point de départ, l'étincelle, quand je l'ai visitée, à l'âge de vingt ans" 
(Marguerite Yourcenar)



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3 commentaires:

  1. Magnifique note, extrêmement complète!
    J'ai lu ce beau livre il y a fort longtemps et j'en garde un souvenir
    qui m'a marqué, alors que je ne suis pas véritablement un fan de
    Marguerite Yourcenar.
    Donc maintenant une envie de relire, avec le recul des années.
    Un autre très beau livre, dans la même tonalité :
    La mort de Virgile d'Hermann Broch (1958)
    (L'Imaginaire Gallimard). A lire par temps froid
    et brumeux calfeutré chez soi...
    Bon week-end
    Amitié

    JPS

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  2. J'ai lu trois ou quatre livres de Marguerite Yourcenar ( dont L'oeuvre au noir, Le coup de grâce), mais pas encore Les mémoires d'Hadrien, que j'ai pourtant sur mes étagères. Tu as su te montrer convaincant. Je crois que je vais m'y mettre. Bon week-end. Florentin

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  3. Quel beau livre ! Relu récemment, juste avant de partir à la découverte du palais de Tivoli. Bravo pour ton article, le choix judicieux de citations, et les belles photos de la Villa Adriana. Il faudrait que je découvre les autres livres de la grande ourse noire....

    Après un opéra, la vie d'Hadrien ferait certainement un beau sujet de film.

    Excellent week-end,

    JF

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